Nicolas Fouquet était riche lorsqu’en 1653, il reçut la charge de surintendant des finances. Il n’est pas du tout établi qu’il se soit enrichi au détriment du royaume. Richelieu et Mazarin, eux, pauvres en finances au début, avaient su amasser des fortunes, immenses. Mais, à la différence de Nicolas Fouquet, ils avaient veillé, et étaient parvenus à conserver la faveur de leur Maître : ce fut la différence d’avec Nicolas Fouquet qui apparemment ne se méfia pas. Alors, il fut pris dans la tourmente du coup de majesté d’un jeune roi de 23 ans qui prit le pouvoir le 10 mars 1661, et entendait asseoir urbi et orbi une autorité impérieuse.
Le cardinal Mazarin avait chaudement recommandé Colbert à Louis XIV. Colbert avait su gérer sa fortune, et quelle fortune ! Donc, en ces matières de finance délicate où la caisse du roi se trouvait dans la caisse du surintendant ou du principal ministre au point de se confondre car la comptabilité était sommaire, un bon comptable comme Colbert était ou un allié précieux ou un ennemi redoutable. Que dire, si d’aventure il ambitionnait le poste du ministre ? Aussi lorsqu’au lendemain de la mort du cardinal, le 10 mars 1661 précisément, Louis XIV prit le pouvoir en décidant de gouverner sans principal ministre et de tout décider, Colbert n’eût, semble-t-il, pas grand mal à diriger la colère du roi, effaré du déficit colossal des finances royales, contre le ministre. Etant précisé que le roi avait pris son parti avant la fastueuse réception offerte par Fouquet à Vaux le vicomte, et que le roi, toujours courtois, poli, charmant, dissimula ; fidèle émule de son parrain Mazarin.
A peine six mois plus tard, le 5 septembre 1661, Louis XIV fit arrêter Fouquet par d’Artagnan, et commencer l’instruction d’un procès pour détournement d’argent (le crime de « péculat ») et lèse-majesté. Le monde des proches, de la noblesse, fut ébranlé. L’onde de choc fut colossale : Fouquet n’avait que des amis. Ils le renièrent, sans savoir bien entendu, l’un après l’autre, pour se ranger dans le camp du roi. Il ne resta que Madame de Sévigné et Jean de La Fontaine. Le poète, ami fidèle, fut courageux : il osa intercéder auprès de Louis XIV qui lui en garda rancune, petitement.
Les juges avaient été choisis par Colbert ; la cause était entendue, enfin presque. Car Fouquet sut se défendre seul, intelligemment, brillamment. L’Opinion, versatile, le vilipenda d’abord, se retourna, et finalement se rangea de son côté. Ce qui agaça le roi. Et voici que le 21 décembre 1664, les magistrats tentèrent eux aussi un coup de majesté, cette fois contre le roi : inimaginable. Ils osèrent se montrer cléments: une peine de bannissement seulement. Le dossier était-il si léger, l’accusation vide ou presque, … le verdict le laissait sous-entendre. Une gifle pour le Pouvoir.
La colère du roi fut impitoyable : usant, ou plutôt abusant, de son droit de grâce, Louis XIV transforma la peine en réclusion perpétuelle. Une honte.
Le roi disgracia les magistrats trop cléments. Il fit poursuivre les financiers amis de Fouquet (les roturiers, pas les nobles). Il fit emprisonner Fouquet dans la sinistre forteresse de Pignerol. Il lui donna un geôlier antipathique : Monsieur de Saint Mars. Finalement, le 23 mars 1680, Fouquet mourut de maladie.
Louis XIV avait renversé son puissant ministre des finances. Personne ne le contredit. Tout le monde se tut, par couardise. Sauf Jean de La Fontaine. Le roi, le jeune roi de 23 ans, avait imposé son autorité à son entourage, à la noblesse dont il n’oublia jamais l’attitude révoltante pendant la Fronde.
Cette affaire, purement politique, n’honora ni le roi, ni Colbert.
Louis XIV laissa les finances en piteux état.
Quelle tristesse !
Lisez
Paul Morand : Nicolas Fouquet ou le soleil offusqué
La Fontaine : l’Ode au roi Elégie aux nymphes de Vaux